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150 ans d’instruction primaire obligatoire dans la Constitution

29/05/2024

En 1874, le principe de l’instruction primaire obligatoire pour les garçons et les filles a fait son entrée dans la Constitution fédérale. Sur cette question, le rôle de la Confédération, en regard de l’autonomie des cantons, a suscité de fortes controverses durant les dernières décennies du XIXe siècle.

Enveloppes avec timbre anniversaire 150 ans de scolarité obligatoire
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Il y a de cela 150 ans, le 29 mai 1874, le principe de l’instruction primaire obligatoire pour les garçons et les filles était ancré dans la Constitution fédérale. Une majorité des votants ainsi que treize cantons et demi contre huit et demi avaient accepté la révision complète de la Constitution, qui signifiait l’extension des compétences de la Confédération à la scolarité obligatoire, disposition qui était l’une des plus contestées dans le projet présenté.

En 1872, la première tentative de réviser, d’abord partiellement puis totalement, la Constitution suisse de 1848 avait donné lieu à un projet qui se caractérisait déjà par des interventions de la Confédération dans des domaines qui étaient restés jusque-là l’apanage des cantons, à l’instar de l’école et de l’enseignement (art. 25). Il est vrai que la disposition selon laquelle les cantons étaient chargés de veiller à ce que l’enseignement primaire soit obligatoire et gratuit n’était pas contestée, et qu’elle figurait depuis un certain temps dans toutes les législations cantonales, un seul canton (Uri) faisant exception. Toutefois, le caractère général de la formulation, octroyant à la Confédération la compétence de «fixer le minimum de l’enseignement qui doit être donné dans les écoles primaires», était source d’inquiétudes. Le sens de cette disposition, et les incertitudes quant à sa portée, suscitait jusque dans le camp des partisans de la nouvelle Constitution fédérale la crainte que la Confédération ne s’en serve comme base légale pour mettre sous sa coupe un domaine scolaire placé jusqu’ici sous le régime du fédéralisme. Il ne devait toutefois pas en être ainsi puisque les votants rejetèrent le projet de justesse, les cantons faisant de même, mais à une nette majorité.

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Art. 25 du projet soumis en votation en 1872
Les Cantons pourvoient à l’instruction primaire, qui doit être obligatoire et gratuite. La Confédération peut fixer, par voie législative, le minimum de l’enseignement qui doit être donné dans les écoles primaires.

Art. 27 de la Constitution fédérale de 1874
«Les cantons pourvoient à l’instruction primaire, qui doit être suffisante et placée exclusivement sous la direction de l’autorité civile. Elle est obligatoire et, dans les écoles publiques, gratuite. Les écoles publiques doivent pouvoir être fréquentées par les adhérents de toutes les confessions, sans qu’ils aient à souffrir d’aucune façon dans leur liberté de conscience ou de croyance. La Confédération prendra les mesures nécessaires contre les cantons qui ne satisferaient pas à ces obligations.»

(Criblez & Huber 2008, p. 97 (en allemand); mise en relief par la CDIP)

Gravure commémorant la révision de la Constitution fédérale du 19 avril 1874Crédit iconographique: Musée national suisse LM-24296, Auteur: Ernst Conrad

Chaque citoyen doit savoir lire et écrire

Quelques mois à peine après la nette victoire des adversaires de la révision de la Constitution, ses partisans déposaient un nouveau projet en vue d’une révision totale. L’art. 27 de la Constitution de 1874 fixe ainsi quatre principes régissant l’école primaire, les cantons étant tenus de veiller à leur mise en œuvre: l’instruction primaire doit être suffisante, obligatoire, gratuite et placée sous la direction de l’autorité civile. Quels en étaient les motifs?

Le droit du citoyen à s’associer à la conduite de l’État justifiait l’instauration de l’instruction primaire obligatoire; le conseiller fédéral Jakob Dubs en 1872 considérait d’ailleurs qu’appeler aux urnes un citoyen ne sachant ni lire ni écrire était une absurdité crasse. L’argument était d’autant plus pertinent que la constitution révisée s’apprêtait à élargir le champ des droits démocratiques. Même si la notion d’école obligatoire ne sous-entendait pas une obligation de fréquenter l’école publique (il restait possible de bénéficier d’un enseignement en école privée ou à domicile), tous les cantons disposaient alors déjà d’écoles élémentaires publiques ou d’écoles primaires dont la durée était de six à neuf ans. Or, l’obligation ne s’appliquait pas aux écoles secondaires, qui existaient déjà dans certains cantons et faisaient suite à six années d’école primaire. Toutefois, le taux de fréquentation scolaire restait faible malgré l’inscription de cette obligation dans les législations cantonales, et il ne cessait de diminuer tout au long de l’école primaire. Les partisans de la réforme espéraient que l’enseignement obligatoire se verrait accorder plus de poids une fois inscrit dans la Constitution fédérale. On considérait de surcroît qu’il s’agirait d’une mesure de lutte contre le travail des enfants, la misère et la criminalité. L’opinion largement partagée était que l’enseignement conférait aux enfants des plus pauvres comme à ceux des plus riches  «les moyens de s’orienter au milieu des difficultés croissantes de la vie et de se créer une existence honorable». La définition plus précise de la notion d’enseignement primaire, son volume et sa durée, devait continuer de rester l’affaire des cantons.

L'école de Zuoz vers 1867
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L'école de Zuoz vers 1867 Crédit iconographique: Musée national suisse LM-100990, Photograph: Johann Christian Pötter (1852 - 1909), Chur (Photographie) 1867

Les cantons déterminent eux-mêmes le niveau d’une «instruction suffisante»

Parmi les quatre principes formulés, celui de la gratuité de la scolarité obligatoire était le moins contesté, généralement accepté comme conséquence logique de cette obligation, mais pour les écoles publiques uniquement. La leçon du passé parlait également en faveur de la gratuité: autrefois, le maître ou la maîtresse devait déployer trop d’énergie à recouvrer les frais de scolarité plutôt que de dispenser son enseignement. Ce principe était par ailleurs déjà bien établi dans la plupart des cantons.

Quant au troisième principe, à savoir celui de l’instruction primaire suffisante, il est la quintessence des exigences minimales que spécifiait le projet rejeté en 1872. À noter : le pouvoir d’appréciation de ce qu’est un niveau d’instruction suffisant est laissé aux cantons, et il ne passe pas à la Confédération, comme cela était prévu à l’origine. La Confédération se voit toutefois accorder la compétence de veiller à ce que les cantons assurent un enseignement suffisant. Si l’adjectif «suffisant» implique l’existence d’exigences minimales, les cantons n’en ont pas moins la possibilité d’en arrêter eux-mêmes les détails. Par ailleurs, il n’en résultait pas un pouvoir de disposition immédiat pour la Confédération, et il n’était pas possible de définir précisément à quoi cette dernière devait veiller et quelles mesures elle devait prendre à cet effet. Aux arguments en lien avec la démocratie directe et la question sociale s’ajoutait également l’allusion, émanant de divers milieux, selon laquelle certains cantons négligeaient leur devoir d’instruire la population.

École de village au Tessin vers 1920
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École de village au Tessin vers 1920 Crédit iconographique: Musée national suisse LM-100990, Photograph: LM-79509.21, Foto: Rudolf Zinggeler

L’État garantit l’enseignement «séculier»

Le quatrième principe, à savoir la direction de l’autorité civile, était très contesté, car cette question ravivait les conflits menés sur fond de Kulturkampf (conflit religieux et culturel dans le cadre du processus de séparation entre l’État et l’Église catholique). L’autorité civile impliquait la haute surveillance par l’État, conséquence en dernière analyse des nouvelles dispositions se rapportant à la liberté de croyance et de conscience (art. 48). La règle selon laquelle nul ne pouvait être contraint à suivre un enseignement religieux s’est d’abord traduite par une interdiction d’enseigner prononcée contre les membres des ordres religieux. Seule une tentative ultérieure, une fois admis le principe d’un enseignement neutre sur le plan confessionnel, a permis de dégager un consensus minimal et de trouver une solution pour ne pas devoir renoncer à l’apport et aux mérites des religieuses qui enseignaient dans de nombreux cantons. Un autre motif qui a présidé à l’enseignement «séculier», non confessionnel, était l’élargissement de la liberté d’établissement et l’accroissement de la mobilité. C’était la seule manière de garantir que les enfants déménageant dans un autre canton ne soient pas contraints d’acquérir des notions considérées comme pernicieuses par leurs parents. La subordination à l’autorité civile était considérée comme la garantie ultime de l’ouverture d’un enseignement obligatoire aux membres de toutes les communautés religieuses et de sa neutralité sur le plan confessionnel.

La révision totale de la Constitution fédérale de 1874 a donc largement fait obstacle à l’intervention directe de la Confédération dans le système scolaire des cantons. Bien sûr, les compétences dévolues à la Confédération par l’art. 27 ont donné lieu à une interprétation politique dans le sillage immédiat de la révision, qui suscité de nombreuses idées, allant de la promulgation d’une législation fédérale d’application à l’instauration d’un secrétariat d’État aux affaires scolaires, en passant par la création d’établissements nationaux dédiés à la formation du corps enseignant et l’uniformisation des diplômes devenus fédéraux. À l’exception du développement de l’examen pédagogique des recrues, aucune de ces initiatives n’a abouti. L’interdiction, pour les enfants, de travailler en fabrique, prononcée en 1877, et l’acceptation de subventions fédérales destinées aux écoles primaires, en 1902, avec le nouvel art. 27bis, Cst., concernant la subvention de l’école primaire publique par la Confédération, et la loi fédérale de 1903 concernant la subvention de l’école primaire publique, ont exercé une influence bien plus grande sur la mise en œuvre de l’art. 27 dans les cantons.

Sources : Voir aussi la collection IDES de références sur ces questions
Criblez, Lucien & Huber, Christina (2008): Der Bildungsartikel der Bundesverfassung von 1874 und die Diskussion über den eidgenössischen «Schulvogt» (pp. 87-129). In: Criblez, Lucien (édit.): Bildungsraum Schweiz. Historische Entwicklung und aktuelle Herausforderungen. Berne, Haupt: 2008.

Holenstein, Th. (1931): Die konfessionellen Artikel und der Schulartikel der schweizerischen Bundesverfassung. Olten: Verlag Otto Walter.

Crotti, Claudia (2008): Pädagogische Rekrutenprüfungen. Bildungspolitische Steuerungsversuche zwischen 1875 und 1931 (pp. 131-154) In: Criblez, Lucien (édit.): Bildungsraum Schweiz. Historische Entwicklung und aktuelle Herausforderungen. Berne, Haupt: 2008.

Hofstetter, Rita (1999) : Une école pour la démocratie : Naissance et développement de l'école primaire publique en Suisse au 19e siècle. Berne: P. Lang, 1999

Criblez, Lucien (1999): Eine Schule für die Demokratie : Zur Entwicklung der Volksschule in der Schweiz im 19. Jahrhundert / Rita Hofstetter [et al.] (édit). Bern: P. Lang, 1999


Série d’article «150 ans de l’école obligatoire»


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En complément à cette série, le centre d’information et de documentation IDES, en collaboration avec l’Institut de recherche et de documentation pédagogique (IRDP) de la CIIP, qui fête également cette année ses 150 ans, propose une collection thématique.

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